jeudi 21 septembre 2006

L’introuvable Islam moderé

par Angelo PANEBIANCO du Corriere della Sera
19 septembre 2006
traduit de l'italien par Albert CAPINO

Si certains, dans le monde islamique, se déclarent satisfaits des précisions du pape sur son discours de Ratisbonne, d’autres exigent des excuses, et beaucoup d'autres continuent à montrer leurs muscles avec des manifestations de violence et des menaces de mort.

En commentant l'événement, Vittorio Messori, sur le Corriere hier, a émis des idées qu’on peut partager mais il a péché par optimisme. Messori a raison lorsqu’il dit que la phrase extrapolée du discours du pape a seulement été un prétexte pour incendier les masses islamiques. Tout comme le furent les caricatures sur Mahomet. Dans les deux cas, l'extrémisme islamique s'est mobilisé pour éprouver sa capacité d'hégémonie sur le monde musulman, montrer combien il était fort et, parallèlement, combien faible et effrayé était l'Occident.

À l'époque des caricatures, l'Europe a subi la plus sensationnelle agression à la liberté d'expression depuis le temps des totalitarismes triomphants et, en somme, l'événement s'est conclu avec la victoire de l'agresseur. L'Europe a tacitement accepté que la liberté de satire, à partir de maintenant, vaut pour tout sauf pour l'islam, face auquel, il semble, l'autocensure est exigée. À présent ils nous mettent de nouveau à l’épreuve avec un objectif plus ambitieux : frapper le coeur religieux de l'Occident, nous forcer à accepter que le pape ne soit plus libre de réfléchir à haute voix sur la spécificité du christianisme ou sur ce qui le différencie de l'islam.

Où Messori pèche peut-être par optimisme est de croire que ce qui arriva en son temps avec le marxisme ne se répétera pas avec les européens, croyants compris. Si l'Europe flirta avec ce judéo-christianisme laïc qu’était le marxisme, elle ne pourra pas le faire, pense Messori, avec le fondamentalisme islamique. En raison de son incompatibilité avec la pensée "politiquement correcte" dominante. Je crains qu’il se trompe. Non seulement parce qu'il y a divers européens qui flirtent déjà avec l'extrémisme islamique, conscients de partager avec lui les ennemis principaux que sont les Etats Unis et Israël. Rien ne prédispose plus à la solidarité qu’un ennemi commun. Mais surtout parce que l'Europe a peur, elle est effrayée à mort, et la peur pousse plus qu’un quelconque autre sentiment céder à l'autoritarisme, à lui donner raison pour le garder bienveillant. Oriana Fallaci parlait d'Eurabia. Il suffit de voir les réactions occidentales au discours du pape pour comprendre qu'eurabia, est peut-être déjà parmi nous.Je ne parle pas tant des théologiens improvisés qui ont expliqué à Ratzinger qu'est-ce que devrait vraiment être le christianisme (même dans les situations les plus tragiques, l'homme est en mesure de donner vie à des interludes d'un comique irrésistible). Je parle de tous ceux qui ont accusé le pape de ne pas s’auto-censurer. En regardant autour de soi, on partage le pessimisme de Bernard Lewis qui prévoit une Europe défaite et soumise.

Il y a un rapport entre la peur européenne et la capacité d'hégémonie que l'islam politique, l'islam qui utilise la religion à des fins politiciennes, sait exercer, dans les moments de crise, sur le monde musulman. Une hégémonie si forte à rendre faibles, presque inexistantes, les voix musulmanes raisonnables. Les implications politiques sont nombreuses et les hommes d'Etat le savent.

Le Premier ministre italien Romano Prodi, par exemple, a annoncé qu'il rencontrera à New York le président iranien Ahmadinejad, en raison du rôle qui l'Iran joue au Moyen Orient. Est-il licite d'inviter à la prudence dans nos rapports avec un régime qui veut détruire Israël et qui est en première ligne (avec Al Qaïda) pour exciter les masses islamiques contre le Pape ?

Original sur : http://www.corriere.it

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